Traduction libre d’un article extrait de The Economist du 10 août 2013, disponible en version originale sous : http://www.economist.com/news/europe/21583310-french-language-getting-battered-social-media-nous-twitterons?zid=319&ah=17af09b0281b01505c226b1e574f5cc1
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Nous twitterons
La langue française est malmenée par les médias sociaux
10 août 2013 | PARIS | Extrait de l’édition imprimée
AURELIE FILIPPETTI, la ministre française de la Culture, a dû se retirer cette semaine un tweet après avoir commis une faute d’orthographe flagrante. Comme elle est la gardienne officielle de la langue française, la situation était un peu embarrassante. La spontanéité de Twitter suscite l’insouciance, et la ministre a dûment réprimandé un(e) assistant(e) qui avait quelque peu bâclé le travail. Mais pour les puristes de la langue, l’incident a touché une question beaucoup plus large, concernant le mauvais traitement réservé au français dans les médias sociaux et l’invasion accélérée du franglais.
Les Français ont longtemps utilisé des règles pour défendre leur langue de la progression rampante de l’anglais, notamment dans la publicité. Selon la loi [française], tout slogan anglais se rapportant à une marque, tel que le « What else? », de Nespresso, être traduit par un sous-titre (Quoi d’Autre ?). Cela produit des résultats comiques. Quick, une chaîne de fast-food populaire en France, a présenté le burger français dans son menu, le traduisant à juste titre par « le burger à la française ». Les annonceurs manipulent joyeusement les règles, en utilisant une police minuscule pour la traduction, ou en inventant des logos en franglais indigestes. « Very irrésistible » est un parfum de Givenchy, une marque de luxe française. Les magazines de mode saupoudrent généreusement leurs textes de références au « must », au « look » et au « street style ».
La propagation des médias sociaux malmène à nouveau la langue française. Comme le français est plus prolixe que l’anglais, la limite de 140 caractères imposée par Twitter pour chaque Tweet engendre une compression supplémentaire. Les tweets français, comme les messages textes de téléphonie mobile, sont semés d’abréviations : « koi » pour « quoi » ou « C » pour « C’EST ». Les néologismes abondent. Quelqu’un qui tweete peut être imité par d’autres. Un opérateur de téléphonie mobile français a lancé un service appelé « Sosh », abréviation de « médias sociaux ». Le terme « Twitter » a lui-même été transmuté à partir d’un nom anglais dans un verbe français. Un fonctionnaire a récemment tweeté : « nous live-twitterons » le Discours d’un ministre.
Un organisme officiel français tente de repousser les anglicismes par des alternatives françaises. Pour le « cloud computing », il recommande « informatique en nuage ». Un « hashtag », utilisé sur Twitter avec le symbole #, devrait être un « mot dièse ». En réalité, ces artifices accrochent rarement. Ancré sur Twitter, mais consterné par le massacre de la langue française, Bernard Pivot, un critique littéraire de 78 ans et protecteur officieux de la langue, a publié un livre de ses propres tweets, qui sont parfaitement conçus, qui concernent tous la langue de Molière. Twitter n’a pas besoin de corrompre la langue, soutient-il, au contraire, ce média impose une réflexion opportune et une certaine concision. En effet, comme M. Pivot le fait remarquer, le premier article de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 contient 136 caractères : la longueur parfaite pour un tweet.